CABOU

Grand Paris

(dimanche 14 août 2011)

Le Palais Brongniart est en effervescence mais personne ne s’agite autour du panier, car il n’y plus de panier, ni de cotation ni d’action, ni de trader.

La bourse est dématérialisée et cela ne date pas d’hier.

On a donc essayé d’attribuer à l’ancien « Palais de la Bourse » une nouvelle vocation : d’abord, centre de conférences, puis école des métiers d’Internet, le site a ensuite été successivement recyclé en musée du Marketing, magasin Apple Store et Nouvelle Samaritaine. Tous les projets ont capoté les uns après les autres.

Aujourd’hui, la fédération francilienne de l’Internationale Hacktiviste a choisi d’investir ce lieu symbolique pour mener l’offensive contre les serveurs du Supercac.

L’action, coordonnée à l’échelle planétaire, s’inscrit dans le cadre de l’intervention de destruction massive des principales places boursières, étape décisive visant à donner le coup fatal au système financier déliquescent.

L’attaque est conduite au grand jour, avec la participation active des populations.

Quelques jours plus tôt, des mouvements sociaux sans précédent ont secoué les principales métropoles de la planète. Il ne s’agissait plus des ces révoltes sporadiques et autodestructrices, auxquelles tout le monde s’était habitué, avec plus ou moins d’appréhension, avec plus ou moins de fatalisme. Non, nous n’en n’étions plus là. Nous n’en sommes plus là.

Ce qui s’est mis en branle est d’une toute autre nature : grèves massives et occupation des sites de production dans les principales branches de l’industrie, paralysie des réseaux routiers et ferroviaires, anéantissements des systèmes de communication des polices et des armées, ouverture des prisons, mise à sac des infrastructures de la plupart des grands établissements financiers, fusion des comités de quartiers avec les collectifs de sans-abris, création des coordinations de réseaux de conseils de production et mise en place des premiers comptoirs distributifs populaires en lieu et place des principaux centre commerciaux... bref, le système capitaliste est à genoux.

« Il est nécessaire d’envisager la taxation des produits financiers ». La recommandation du directeur du FMI n’y a rien changé, pas plus, d’ailleurs, que la préconisation de l’Agence Européenne de Notation Intercommunautaire visant à fusionner la BCE avec les principaux établissements bancaires des états membres.

Les effets d’annonce étant inefficaces auprès des marchés financiers, ils le sont désormais tout autant auprès des peuples.

Gouvernements et institutions supranationales ont largement fait la preuve de leur incapacité à contrôler le cours des choses. Plus que de la rébellion, c’est l’état d’indifférence qui caractérise la relation qu’entretiennent désormais les populations vis à vis des institutions censées les représenter.

L’incroyable prophétie marxiste – la disparition de l’État – s’est réalisée ; mais elle a précédé l’avènement du communisme. Le capitalisme ne s’était jamais aussi bien porté que lorsqu’il commença à miner furieusement toutes les fondations de l’autel qu’on lui avait religieusement édifié depuis plusieurs siècles.

Les chefs d’État, dont certains ne doivent leur mandat qu’à une élection représentant moins de 15% de leur population en âge de voter, assistent désormais en spectateurs à la grande confrontation qui oppose directement leurs peuples à un système aussi incontrôlable que malfaisant.

Ici, en Ile-de-France, devait émerger une grande métropole européenne. On en parlait déjà depuis plusieurs décennies. Il était question de fusionner à plus ou moins longue échéance villes, départements et région en une seule entité administrative.

La plupart des prétendants à la « gouvernance » locale et nationale – tout du moins, ceux qui devaient occuper ces responsabilités – s’accordaient autour de cet objectif. Bien évidemment, chacun avait sa propre vision, ce qui provoqua quelques luttes politiques mémorables.

De même, les populations s’opposèrent parfois avec véhémence au projet, souvent pour des raisons divergentes.

Cela pris du temps, mais le Grand Paris fut finalement proclamé... quelques mois, seulement, avant les débuts de la Grande Révolution Mondiale.

Ce moment où Paris, qui s’était singulièrement affadie au fil du temps, retrouve enfin ses couleurs, sous l’impulsion de sa périphérie.

La colonne Vendôme, à nouveau, est descendue.

Les fonderies populaires recyclent le bronze en boulets de la colère, qu’on achemine aux pieds de la butte Montmartre.

On y fabrique de nouveaux funiculaires, montés de fléaux géants, pour dégommer le grand étron blanc.

Les ruines sont aménagées en terrain d’escalade, surplombant les Nouvelles Vignes Communales.

Les habitants de la Place Vendôme participent aux travaux de câblage et de plomberie des immeubles. La plupart étaient vides. Au milieu, on creusera une piscine en forme d’amande, bordée de fougères.

Quant à Brongniart, il est question d’y transférer le Muséum d’Histoire naturelle.