Ce qui est bien avec le rock, c’est qu’on peut toujours y revenir pour cuisiner sa petite tambouille personnelle, sans que personne n’ait rien à y redire.
Punk, par exemple.
L’affaire est entendue : il se doit que punk soit la référence absolue pour tout et n’importe quoi.
Punk est très souvent le raccourci définitif et incontournable quand il est question de musique, d’écriture, de cinéma, de graphisme, de mode vestimentaire et même d’informatique [1]
News culturel, rubrique musicale de la presse quotidienne, suppléments du week-end, blog... que ce soit sur papier ou à l’écran, l’évocation de punk est récurrente, y compris s’il s’agit de périodes antérieures à 1976 ; auquel cas, on sera éventuellement gratifié d’un pré-punk.
Dans les mêmes colonnes, il n’est pas rare de trouver le témoignage d’anciens punks. Tels des rescapés de la guerre de 14, ils consolident fièrement la légende, n’hésitant pas à reconstruire l’histoire pour mieux la faire correspondre à l’image attendue.
Faut dire que, déjà, en 77 [2] l’affaire avait été rondement menée. En France, l’écran de fumée dressé par la presse (notamment Libération) autour de la nouvelle mode attirait toute une faune qu’il serait risible de confronter avec la représentation juvénile et rebelle qu’on s’en fait aujourd’hui : grands bourgeois ricaneurs, anciens maoïstes déboussolés, babas cool opportunistes, éternels donneurs de leçons et bavards cyniques constituaient alors le lot commun d’une clique cultureuse, pompant littéralement leur énergie de quelques gamins qui s’essayaient à construire leur propre culture en ravageant ce qu’ils avaient jusque là adoré.
La figure caricaturale de ce grand jeu récupérateur était inscrite dans la naissance même du punk londonien.
Les Sex Pistols avaient été construits sur mesure par Malcom McLaren, de dix ans leur aîné. Comme il l’avait fait quelques années plus tôt avec les New York Dolls, ce grand mégalo de McLaren concocta un projet fumeux à base de provocations spectaculaires et de références polotico-culturelles plus ou moins assimilées. [3]
Pour peu que l’on apporte quelque crédit à l’œuvre de Guy Debord, le fait d’entendre que le situationnisme s’incarnait désormais dans la nouvelle création de McLaren – comme ce dernier le laissait entendre – a pu conduire plus d’un à sombrer définitivement dans l’alcoolisme. Quant à l’anarchisme... quelle bonne blague.
John Lydon réussit à s’émanciper de la tutelle McLaréenne. Ce ne fut pas le moindre de ses mérites car l’animal prouva définitivement par la suite, avec son PIL, qu’il n’était pas qu’une simple marionnette. [4]
Il est par contre consternant de voir comment est désormais érigée la figure stéréotypée du punk éternel au travers de l’image fossilisée de Sid Vicious. [5]
D’après ce qu’en dit Lemmy Kilmister, ce pauvre Sid avait toute les peines du monde à tenir son instrument, y compris pour interpréter le répertoire des Sex PistolSchtoumpfs [6]. On l’avait posé là pour faire le mongole de service, tâche à laquelle il se prêtait d’ailleurs avec la meilleure application.
Ce n’est pas le meilleur service à rendre aux musiciens du groupe (à commencer par Glen Matlock) que de considérer ce combo comme une bande de branleurs provocs, dépossédés de leurs intentions et tout juste capables de singer, à la demande, les groupes de rocks des années 60.
Sid Vicious, ami de John – Roten – Lydon, faisait partie des gens qui gravitaient autour des Sex Pistols mais il a pris place dans le groupe après coup. Il a remplacé, dans un premier temps, Matlock, à la basse, puis Roten, au titre du grand guignol. De fait, quand il est arrivé, le groupe avait splité.
Sid Vicious n’était qu’un gamin paumé, définitivement déboussolé, laissé à la dérive mais sous contrôle, pour les besoins du spectacle. Tout le contraire du rebelle. Il avait la coupe de cheveu de David Bowie et se tenait sur scène les jambes écartées comme un Ramones [7]. À par ça, il était le champion de la surenchère.
À la colle avec le pire boulet qui puisse se trouver parmi les groupies de la scène musicale de Londres et de New York, Sid Vicious était devenu un junkie complètement largué, incapable de conduire par lui-même ne serait-ce que le dixième de ce que d’autres obscurs acteurs de la scène punk faisaient émerger, au même moment, dans l’anonymat. Parfaite réplique du hippie, il s’est enfourné la tête la première dans l’abattoir de l’addiction, usant consciemment ou non de tous les stéréotypes éculés du toxico. Du pain béni pour la presse à scandale qui sut, comme il se doit en Angleterre, lui tailler un costard pour la postérité.
En continuant de brandir l’icône du personnage punk, on entretien le mythe, dans tout ce qu’il a de plus détestable : punk est un objet marketing qui, bien que présentant tous les stigmates de la rébellion, ne repose en réalité sur rien d’autre que la désespérante nullité de la servitude.
Sid Vicious est souvent associé à une lignée de créateurs ténébreux (blabla), ayant sacrifiés (blabla), et autres foutaises du même tabac, parmi lesquels sont alignés en chapelet morbide : Charlie Parker, Jimi Hendrix, Jim Morrison, Kurt Cobain ou Amy Winehouse... (ajoutez une pincée de Van Gogh saupoudrée d’Artaud, pour une soirée plus littéraire).
Reconnaissons – au-delà du caractère putassier de la catégorie – que ces personnes ont toutes en commun d’avoir réellement construit quelque chose qui dépasse la simple histoire personnelle, alors que Sid Vicious n’est rien d’autre qu’une histoire personnelle d’une effrayante banalité.
Sid Vicious, était un jeune prolétaire marginalisé, comme il en existait des milliers dans les squats de Londres ou d’autres villes européennes de l’époque. On a braqué les projeteurs afin de lui accorder le fameux « quart d’heure de célébrité » Warholien. On a pris le cliché, après quoi, on a remis la carcasse à sa place.
Contrairement à Johnny Roten, Rrose Sélavy ou Ziggy, le personnage de Sid Vicious a dévoré John Simon Richie. Jusqu’à en crever.
Au travers du rappel à la figure scandaleuse de Sid Vicious on cristallise avec le pire cynisme une représentation profondément irrespectueuse de John Simon Richie. Le fait de reconnaître dans quelles circonstances il était passé de John à Sid et donc d’admettre le caractère profondément manipulatoire de l’entreprise dans laquelle il était embarqué, serait certainement, aujourd’hui, la seule façon juste de parler de Sid Vicious.
Ouais : respect et juste. Y’a un problème ?
Laissons le crédit à la personne que, dans des circonstances plus favorables, il aurait pu, comme beaucoup d’autres jeunes punks de l’époque, devenir autre chose qu’une simple potiche destroy. Mais visiblement il n’y a pas eu de circonstances favorables, notamment dans son entourage. S’il est pour le moins regrettable que, pour les besoins immédiats de l’entreprise Pistols, son staff l’ait emmailloté dans un cocon auto-destructeur, rien ne justifie, depuis sa mort, qu’on ressorte toujours le même cadavre embaumé dans son linceul puant de grand maître de cérémonie punk.
Sid Vicious rejoint les grands couillons de l’histoire, aux côtés de Che Guevara, notamment.