Dans le noir, dans le soir sera sa mémoire
dans ce qui souffre, dans ce qui suinte
dans ce qui cherche et ne trouve pas
dans le chaland de débarquement qui crève sur la grève
dans le départ sifflant de la balle traceuse
dans l’île de soufre sera sa mémoire.
Dans celui qui a sa fièvre en soi à qui n’importent les murs
Dans celui qui s’élance et n’a de tête que contre les murs
dans le larron non repentant
dans le faible à jamais récalcitrant
dans le porche éventré sera sa mémoire.
Dans la route qui obsède
dans le cœur qui cherche sa plage
dans l’amant que son corps fuit
dans le voyageur que l’espace ronge.
Dans le tunnel
dans le tourment tournant sur lui-même
dans l’impavide qui ose froisser le cimetière.
Dans l’orbite enflammée des astres qui
se heurtent en éclatant
dans le vaisseau fantôme, dans la fiancée flétrie
dans la chanson crépusculaire sera sa mémoire.
Dans la présence de la mer
dans la distance du juge
dans la cécité
dans la tasse à poison.
Dans le capitaine des sept mers
dans l’âme de celui qui lave la dague
dans l’orgue en roseau qui pleure pour tout un peuple
dans le jour du crachat sur l’offrande.
Dans le fruit d’hiver
dans le poumon des batailles qui reprennent
dans le fou dans la chaloupe
Dans les bras tordus des désirs à jamais inassouvis
sera sa mémoire.
Henri Michaux - La vie dans les plis